hor.de | Gedichtsammlung | Maria Luise Weissmann
Nachdichtungen / Materialien
Paul Verlaine
Amies
6 sonnetes
1889
Sur le balcon
Toutes deux regardaient s'enfuir les hirondelles:
L'une pâle aux cheveux de jais, et l'autre blonde
Et rose, et leurs peignoirs légers de vieille blonde
Vaguement serpentaient, nuages, autour d'elles.
Et toutes deux, avec des langueurs d'asphodèles,
Tandis qu'au ciel montait la lune molle et ronde,
Savouraient à longs traits l'émotion profonde
Du soir et le bonheur triste des coeurs fidèles.
Telles, leurs bras pressant, moites, leurs tailles souples,
Couple étrange qui prend pitié des autres couples,
Telles, sur le balcon, rêvaient les jeunes femmes.
Derrière elles, au fond du retrait riche et sombre,
Emphatique comme un trône de mélodrame
Et plein d'odeurs, le Lit, défait, s'ouvrait dans l'ombre.
Pensionnaires
L'une avait quinze ans, l'autre en avait seize;
Toutes deux dormaient dans la même chambre
C'était par un soir très lourd de septembre
Frêles, des yeux bleus, des rougeurs de fraise.
Chacune a quitté, pour se mettre à l'aise,
La fine chemise au frais parfum d'ambre,
La plus jeune étend les bras, et se cambre,
Et sa soeur, les mains sur ses seins, la baise,
Puis tombe à genoux, puis devient farouche
Et tumultueuse et folle, et sa bouche
Plonge sous l'or blond, dans les ombres grises;
Et l'enfant, pendant ce temps-là, recense
Sur ses doigts mignons des valses promises.
Et, rose, sourit avec innocence.
Per amica silentia
Les longs rideaux de blanche mousseline
Que la lueur pâle de la veilleuse
Fait fluer comme une vague opaline
Dans l'ombre mollement mystérieuse,
Les grands rideaux du grand lit d'Adeline
Ont entendu, Claire, ta voix rieuse,
Ta douce voix argentine et câline
Qu'une autre voix enlace, furieuse.
"Aimons, aimons!" disaient vos voix mêlées,
Claire, Adeline, adorables victimes
Du noble voeu de vos âmes sublimes.
Aimez, aimez! ô chères Esseulées,
Puisqu'en ces jours de malheur, vous encore,
Le glorieux Stigmate vous décore.
Printemps
Tendre, la jeune femme rousse,
Que tant d'innocence émoustille,
Dit à la blonde jeune fille
Ces mots, tout bas, d'une voix douce:
"Sève qui monte et fleur qui pousse,
Ton enfance est une charmille:
Laisse errer mes doigts dans la mousse
Où le bouton de rose brille,
Laisse-moi, parmi l'herbe claire,
Boire les gouttes de rosée
Dont la fleur tendre est arrosée, -
Afin que le plaisir, ma chère,
Illumine ton front candide
Comme l'aube l'azur timide."
Eté
Et l'enfant répondit, pâmée
Sous la fourmillante caresse
De sa pantelante maîtresse:
"Je me meurs, ô ma bien-aimée!
Je me meurs: ta gorge enflammée
Et lourde me soûle et m'oppresse;
Ta forte chair d'où sort l'ivresse
Est étrangement parfumée;
Elle a, ta chair, le charme sombre
Des maturités estivales, -
Elle en a l'ambre, elle en a l'ombre;
Ta voix tonne dans les rafales,
Et ta chevelure sanglante
Fuit brusquement dans la nuit lente."
Furieuse, les yeux caves et les seins roides,
Sappho, que la langueur de son désir irrite,
Comme une louve court le long des grèves froides,
Elle songe à Phaon, oublieuse du Rite,
Et, voyant à ce point ses larmes dédaignées,
Arrache ses cheveux immenses par poignées;
Puis elle évoque, en des remords sans accalmies,
Ces temps où rayonnait, pure, la jeune gloire
De ses amours chantés en vers que la mémoire
De l'âme va redire aux vierges endormies:
Et voilà qu'elle abat ses paupières blêmies
Et saute dans la mer où l'appelle la Moire, -
Tandis qu'au ciel éclate, incendiant l'eau noire,
La pâle Séléné qui venge les Amies.